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Mémoires des collines

Lettre d’information de Muyira ASBL - Avril- Mai- Juin 2021

27ème commémoration 

des victimes du génocide perpétré contre les Tutsi 

au Rwanda 

 

D'avril à juillet 1994, environ un million de Tutsi furent exterminés sur les collines du Rwanda. Enfants, hommes, femmes, jeunes et vieux. Pour être nés Tutsi. Par leurs voisins, les milices extrémistes Hutu et  les forces de l’ordre de l’Etat. Des personnalités politiques opposées au régime génocidaire et autres (justes, conjoints des Tutsi) furent également assassinées pendant ce génocide qualifié de « génocide le plus rapide de l’Histoire ». En mémoire des victimes et pour que les génocides cessent, nous nous souvenons.

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IMPRESCRIPTIBLE

Pour les survivants du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, toutes les commémorations ravivent le souvenir du drame, l’absence d’une mère, le sourire d’un frère, la beauté d’une colline, les cendres d’une maison, le visage des bourreaux… L’apaisement n’est pas lié au temps, mais vient de la reconnaissance des faits et de la justice. En terme de commémoration, il n’y a pas de petites ou de grandes années et cette 27ème commémoration n’y déroge pas avec au moins deux éléments majeurs, dont le premier est lié à l’engagement journalistique sans faille de personnes intègres comme Patrick de Saint-Exupéry et son dernier livre : La Traversée - Une odyssée au cœur de l'Afrique aux éditions Les Arènes. Patrick de Saint-Exupéry rapporte l’échange qu’il avait eu en novembre 1994 avec le président Mitterrand à ce sujet : « Oui, il venait de se produire au Rwanda un génocide, concéda-t-il. Mais lequel : Celui des Hutu contre les Tutsi ? Ou celui des Tutsi contre les Hutu ? […] Le génocide s’est-il arrêté après la victoire des Tutsi ? Je m’interroge… ». Il y démonte cette « très française » manœuvre de diversion visant à cacher ses responsabilités par l’instillation d’une thèse de « double génocide » reprise en boucle par les négationnistes de tous poils. « La thèse du deuxième génocide est pratique parce qu’elle permet d’occulter le génocide des Tutsi – bien réel celui-ci – extrêmement gênant pour beaucoup de gens. Elle permet de noyer le poisson : quand on agite l’eau, elle se trouble et personne ne voit plus rien. Pour certains, c’est intentionnel ». Quelques semaines après la sortie du livre de Saint-Exupéry, le rapport Duclert, fort du travail de quatorze historiens et juristes qui ont su naviguer au sein d’une masse d’archives considérable (près de 8 000 documents exploités) confirme l’implication de la France. Il aura fallu 27 ans de patience, de manipulation, d’injustice… et 900 pages pour passer de : 

 

au sommet franco-africain de Biarritz du 8 novembre 1994. (…) François Mitterrand livre sa vérité sur le génocide des Tutsi, (…) évoquant, dans le texte écrit de son discours « des chefs locaux [qui] décident délibérément de conduire une aventure à la pointe des baïonnettes ou de régler des comptes à coups de machettes », le Président français déclare qu’« aucune police d’assurance internationale ne peut empêcher un peuple de s’autodétruire ». 

 

à :

 

La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. Ces responsabilités sont politiques dans la mesure où les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent (…)[1]. 

 

Enfin !  Une nouvelle étape, mais pas un achèvement. Dans une interview donnée le 29 mars 2021 sur France Culture, monsieur Vincent Duclert, président de la commission qui porte son nom, est revenu sur le dossier d’Agathe Kanziga Habyarimana. En réponse à une question du journaliste, monsieur Duclert répond : « Lorsque les forces spéciales arrivent après l’attentat pour évacuer les ressortissants (français et autres), la première des choses c’est d’évacuer la veuve Habyarimana qui, on le sait, est une extrémiste qui tient le clan du Nord, le Réseau Zéro, qui met en place le génocide ». Madame Habyarimana et toute sa parentèle seront évacuées dans le premier avion qui part de Kigali. Et monsieur Duclert de conclure : « C’est vrai que là je pense que le président de la République, Emmanuel Macron, va rouvrir le dossier de madame Habyarimana. Cela fait trente ans qu’elle est effectivement avec un statut extrêmement ambigu en France, protégée… Il faut que la justice passe ». IMPRESCRIPTIBLE.

Muyira

 

[1] Extrait du Rapport Duclet

 

16/03/21

 

Que nous révèlent les archives françaises sur le génocide des Tutsis ?

 

                  

         Qu’en est-il de la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda ? Peut-on considérer que les actions des décideurs politiques de l’époque relèvent de la complicité de génocide ?  

 

      Par rapport à ces questions polémiques, de nombreux chercheurs ont toujours affirmé que la meilleure manière de les trancher serait d’ouvrir l’ensemble des archives françaises relatives au génocide des Tutsis. Mais pendant longtemps, le « secret-défense » a été opposé à de telles demandes. Depuis 2015, entre déclassifications en trompe l’œil et décisions judiciaires, les choses ont commencé à changer. 

                  

         Plusieurs fonds d’archives, militaires et civiles, sont concernés : les archives de l’Elysée déposées aux Archives nationales, les archives diplomatiques (ministère des Affaires étrangères, de la Coopération, …) de La Courneuve, les archives du ministère de la défense et des Armées au château de Vincennes et le service des archives de la DGSE. 

 

        Les archives de l’Elysée ont focalisé l’attention. Légalement, il est impossible d’ouvrir les cartons avant 2055, soit 60 ans après la fin du deuxième septennat de François Mitterrand. Les dérogations dépendent du bon vouloir d’une seule personne, Dominique Bertinotti, mandataire exclusive du fonds Mitterrand, qui peut refuser l’accès sans justification.

      En 2015, François Hollande a accepté de déclassifier une partie des archives mais cet accès est demeuré partiel et arbitraire. Les documents déclassifiés étaient pour une partie déjà connus par une fuite et, pour les autres, ils étaient sans intérêt. 

         En avril 2019, Emmanuel Macron a annoncé la constitution d’une Commission présidée par Vincent Duclert, spécialiste de la IIIe République et du concept de génocide. Il est notamment l’auteur de Les Génocides (2019, CNRS Editions). Cette commission aura accès à l’ensemble des fonds d’archives, même à celui de François Mitterrand. La constitution de cette Commission a fait l’objet de nombreuses critiques car elle n’était pas composée de spécialistes du génocide des Tutsis et ne comprenait pas des chercheurs reconnus comme Hélène 

Dumas. Par ailleurs, l’une des membres de la Commission, Julie d’Andurain, s’est désistée après que Le Canard enchaîné a mis à jour un texte de l'historienne sur l'opération Turquoise où elle estimait notamment que « l'histoire rendrait raison » au bilan de cette opération controversée. Quoi qu’il en soit, cette Commission rendra son rapport le 02 avril prochain. Les sources sur lesquelles il se sera basé seront intégralement accessibles, selon Vincent Duclert. 

 

       Le 12 juin 2020, à la suite d’une demande déposée par le chercheur François Graner, le Conseil d’Etat autorise la consultation des archives du Président François Mitterrand sur le Rwanda. Il a en effet estimé que cette consultation à des fins de recherche « a un intérêt légitime », afin d’« éclairer le débat sur une question d’intérêt public ».

 

         Le chercheur François Graner est membre de l’association Survie et l’auteur de Le Sabre et la machette. Officiers français et génocide tutsi (Tribord, 2014) et avec Raphaël Doridant, de L’Etat français et le génocide des Tutsi au Rwanda(Tribord, 2020). A partir de janvier 2021, il fait un premier bilan de sa consultation des archives. Celles-ci n’apportent pas de révélations fracassantes mais viennent prouver des choses qu’on savait déjà et dressent, selon lui, « un tableau accablant » de l’action de la France au Rwanda. 

 

       D’abord, la thèse de l’aveuglement du pouvoir français est balayée. D’après Graner, on constate un grand décalage entre ce que sait le pouvoir français (qui est très bien informé de la réalité rwandaise et des risques de génocide) et ce qu’il dit aux médias. Il s’agit d’un enfumage délibéré pour pouvoir continuer à soutenir les extrémistes hutus. Les motivations en sont tristement bien connues : préserver un régime au sein de la zone d’influence française et montrer que la France ne lâche pas ses alliés. On le savait depuis longtemps mais grâce aux archives, on peut reconstituer pièce par pièce cette construction politique. On avait un plan d’ensemble mais on sait désormais qui savait quoi et qui a fait quoi de façon minutieuse [1].

 

       Les archives montrent également qu’un cercle très restreint de décideurs (le général Christian Quesnot -conseiller militaire - , le général Jacques Lanxade - chef d’état-major des armées- et le général Jean-Pierre Huchon - chef de la mission militaire de coopération) partagent la même ligne avec le président François Mitterrand et décident de l’action française au Rwanda. Le rôle d’Hubert Védrine est central : c’est par lui que transitent toutes les notes qui remontent du terrain, c’est lui qui les transmet au Président. Sur le Rwanda, il a visé toutes les notes de Bruno Delaye, le responsable de la cellule Afrique de l’Elysée, et en a même annoté certaines. François Graner estime que cela pose la question de la structure institutionnelle de la cinquième République où un petit groupe de personnes peut maintenir un cap aberrant et criminel sans que sa politique soit infléchie par aucun des gardes fous que la République aurait pu apporter. « Les leçons n’en ont pas été tirées, la structure institutionnelle est la même actuellement »[2]

 

        Ensuite, les archives montrent qu’au mois de janvier 1994, la France effectue une livraison d’armes saisie par les Nations Unies. Elles révèlent aussi qu’au mois de février 94, des émissaires de Thompson Armement viennent discuter avec l’ambassadeur de futures livraisons d’armes en dépit des accords de paix d’Arusha signés en août 1993. 

                  

         Pendant le génocide, l’aide militaire directe de la France n’est plus possible. Dès lors, le général Quesnot suggère une aide indirecte en mai 1994. « C’est alors qu’interviennent des mercenaires liés à la France comme les hommes du capitaine Barril, ou de Bob Denard dont le nom apparaît dans ces nouvelles archives »[3], d’après Graner. 

                  

      Les documents montrent également que le pouvoir français a refusé de neutraliser la Radio des Mille Collines qui émettait encore dans la zone sécurisée par l’armée française en juillet 1994. 

 

     Enfin, une note écrite du Quay d’Orsay confirme que les responsables français ont ordonné de ne pas arrêter les membres du gouvernement intérimaire et de les faire partir au Zaïre, alors qu’ils étaient très bien identifiés comme génocidaires. Médiapart[4] a d’ailleurs publié ce télégramme diplomatique daté du 15 juillet 1994 indiquant que le pouvoir français aurait décidé de ne pas interpeller les autorités rwandaises responsables du génocide, malgré une présence militaire sur place. En effet, l’ambassadeur Yannick Gérard, alors représentant du Quai d’Orsay au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise, avait demandé des instructions concernant la présence de responsables génocidaires dans la « Zone humanitaire sûre » contrôlée par les militaires français. Il lui a été répondu : « Vous pouvez (…) utiliser tous les canaux indirects et notamment vos contacts africains, en ne vous exposant pas directement, afin de transmettre à ces autorités notre souhait qu’elles quittent la Zone Humanitaire Sûre »

                  

      Au vu de ces différents éléments, François Graner estime qu’on peut bien parler de « complicité de génocide » au sens où les décideurs français ont apporté un « soutien actif, en connaissance de cause, avec un effet sur le crime commis »[5] à ceux qui ont perpétré le génocide contre les Tutsis.

 

04/04/21

 

      Le 26 mars dernier, la Commission Duclert a remis son rapport au Président Macron. S’étant appuyée sur 8000 documents pour le rédiger, l’ensemble de ceux-ci seront accessibles aux chercheurs et au grand public. 

 

       Mais l’accès n’a pas été exhaustif : les archives de Jean-Christophe Mitterrand, conseiller de la cellule Afrique, sont introuvables ; pour celles de l’Etat-major particulier de François Mitterrand, il ne subsiste qu’un unique carton. 

 

      On ne peut que saluer la sortie de ce rapport qui, sur la base de la consultation des archives, conclut à « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes pour la France »[6].

 

      On sera plus étonné de la position de la Commission Duclert sur la question de la complicité dans le génocide des Tutsis : « Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer ».

 

    Au vu des éléments déjà relevés par le chercheur François Graner que semblent largement confirmer les archives consultées par la Commission Duclert, on ne peut que se montrer dubitatif. En code pénal français, la complicité est précisément définie : « est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. » (article 121-7 du Code pénal). Or, la conclusion de la Commission Duclert affirme que « La France s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle à l’entreprise d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime ». 

 

    Comme on l’a déjà évoqué, cette thèse de « l’aveuglement » tient difficilement la route par rapport aux faits établis. C’est ce que souligne l’association Survie qui estime que : « Parler de ‘faillite de l’analyse’ et d’ ‘aveuglement’ est un recul, car on savait avant même la création de la commission que des analyses très lucides et pertinentes ont été transmises jusqu’à la tête de l’Etat et qu’elles ont été sciemment écartées par les décideurs de l’époque. La complicité est documentée, l’enjeu serait plutôt de compléter le tableau, hélas très cohérent sur la base de ce qui est déjà public. »[7]

 

   Tout cela devra être analysé en profondeur à la lecture complète du rapport de la Commission Duclert et être confronté à l’analyse de chercheurs spécialistes du sujet qui auront enfin accès aux archives. 

Florence Evrard

 

[1] Emission de France Culture, « Le cours de l’histoire » - France-Rwanda : ce que les archives ont à nous apprendre, 19/02/2021. 

[2] Ibidem.

[3] www.la-croix.com/Monde/Genocide-Tutsis-fonds-Mitterrand-confirme-travail-nombreux-chercheurs-2021-01-22-

[4]https://www.mediapart.fr/journal/france/140221/rwanda-un-document-prouve-l-ordre-de-la-france-de-laisser-s-enfuir-les-genocidaires?onglet=full

[5] www.la-croix.com/Monde/Genocide-Tutsis-fonds-Mitterrand-confirme-travail-nombreux-chercheurs-2021-01-22-

[6] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/26/les-conclusions-du-rapport-de-la-commission-sur-le-rwanda-un-ensemble-de-responsabilites-lourdes-et-accablantes-pour-la-france_6074595_3232.html

[7]https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/la-france-et-le-genocide-des-tutsis/article/commission-duclert-sur-le-role-de-la-france-au-rwanda-l-elysee-privilegie-l

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TEMOIGNAGE

 

[CLAIRE]

 

Elle a un visage chaleureux, une allure distinguée et elle parle en détachant chaque mot sans empressement, avec une douceur dans la voix. Née au Rwanda dans une famille de huit enfants, trois filles et cinq garçons, elle vit en Belgique depuis près de vingt ans. En avril 1994, elle avait trente-quatre ans et habitait un quartier de Kigali avec son mari et leurs deux enfants. Pendant le génocide elle a perdu une grande partie de sa famille : ils étaient Tutsi. 

 

Au début des vacances de Pâques, les parents de [Claire] qui vivaient dans le Sud du Rwanda, à Butare, lui avaient demandé d’envoyer les enfants, sa fille de quatre ans et son fils de deux ans et demi, afin de les mettre à l’abri car le climat devenait dangereux pour les Tutsi à Kigali. Effectivement, à Kigali, le génocide commença immédiatement après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Dans le quartier de [Claire] les Tutsi étaient systématiquement tués dès le 7 avril. Elle et son mari changèrent de cachettes à plusieurs reprises et pendant qu’ils se cachaient, ils espéraient que le reste de la famille était mieux protégé loin de la capitale. Les tueurs finirent par attraper le mari de [Claire].

« J’ai entendu igitero, une patrouille de génocidaires, qui l’amenaient pour le tuer. Ils sont passés près de ma cachette»

Il fut tué au début du mois de mai 1994. Jusqu’à la fin du génocide, en juillet, [Claire] resta cachée à Kigali. Plus tard, elle trouva le corps de son mari enterré avec quelques autres corps dans le jardin d’une famille de son quartier. Désormais, il repose au mémorial du génocide de Kigali, à Gisozi.  

 

A Butare, son père fut tué aux premiers jours des massacres, à la suite du sinistre discours du président Théodore Sindikubwabo. Aux environs du 20 avril le génocide s’étendait déjà sur tout le pays.

 « Mes enfants sont partis chez mes parents le 2 avril. Je ne peux l’oublier : c’était un samedi saint, la veille de Pâques. Ma mère est restée à leur côté jusqu’au bout ». 

Un voisin Hutu les avait cachés mais les tueurs sont venus les chercher à la fin. Un témoin a rapporté qu’ils les avaient conduits dans un bois et qu’après les avoir tués, ils avaient déposé les corps des enfants au dessus de celui de leur grand-mère pour les exposer aux passants. C’était en juin 1994. 

« Nous avons cherché longtemps avant de trouver leurs corps. Ceux qui savaient refusaient de nous parler, puis un jour quelqu’un a montré une fosse commune dans lequel se trouvaient ma mère et mes enfants avec d’autres victimes du génocide »

Ils ont été dignement enterrés au mémorial de Ngoma en 2010. A cette époque, [Claire] vivait déjà en Belgique. Elle a donc suivi l’enterrement à distance et a organisé un rituel de deuil, ikiriyo, chez elle avec ses amis. Le corps de son père trouvé après le génocide fut également enterré au mémorial de Ngoma. A Butare. Dans le Sud. Là où il a vécu. 

 

 La grande sœur de [Claire] et son mari vivaient aussi à Butare. C’est dans leur maison que sa petite sœur et trois de ses frères se rassemblèrent quand le génocide éclata. Tous s’apprêtaient à fuir vers le Burundi mais les routes étaient déjà barrées par des hordes de civils Hutu, les militaires, les gendarmes et les milices des partis politiques extrémistes. Les hommes ont été tués en premier, puis les femmes. Ils sont enterrés au mémorial de Cyarwa maintenant. A Butare. Là où ils ont vécu. De tous ceux qui étaient sur place, seuls les deux enfants de la grande sœur de [Claire] ont survécu. Juste avant le barrage des routes, le couple avait confié leur fille aînée à une famille voisine en fuite vers le Burundi, il ne restait qu’une place dans le véhicule. Quant à la fille cadette âgée d’un an au début du génocide, elle fut cachée par une famille Hutu qui quitta Butare pour s’installer à Gikongoro dans la zone «Turquoise ». 

 

Pendant le génocide [Claire] a perdu son mari, ses enfants, ses parents, trois de ses frères, sa petite sœur, sa grande sœur et le mari de celle-ci, sa famille élargie, des amis très chers et de nombreuses connaissances. Ses deux frères survivants s’étaient refugiés au Burundi dans les années qui ont précédé le génocide. Elle a dû trouver un moyen de vivre avec le souvenir de sa famille brutalement décimée. Comme un mauvais rêve auquel elle est condamnée à s’arracher en permanence mais qui ne l’empêcherait, pour rien au monde, d’apprécier la vie . 

« Je me reconstruis tous les jours ».

Après le génocide elle a eu un fils âgé de vingt-trois ans aujourd’hui. Il n’a pas remplacé ses enfants tués. Aucun des déchirements liés au génocide ne lui semble ni moindre ni plus fort que les autres non plus. Souvent les souvenirs s’emmêlent. 

« Il y a des moments où j’ai besoin de ma grande sœur. Aux jours d’anniversaire de mes enfants, je les imagine à l’âge qu’ils auraient s’ils étaient encore en vie».

Le plus difficile dans un génocide c’est le vide qu’il laisse. Une salissure de voir des familles entières se faire exterminer, des nouveau-nés aux vieillards. Une fissure dans l’Humanité. [Claire] a appris à avancer sans rien oublier.

 

Providence Rwayitare

Conversations avec [Claire]. Brabant wallon, mars-avril 2021

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